« Avec le transhumanisme, nous perdrons le sens de l'humain »

L’homme robot ou l’homme « augmenté », l’intelligence artificielle… Les nouvelles technologies vont-elles révolutionner notre existence ? Interview de Jean-Michel Besnier, philosophe.

Le transhumanisme, mouvement de pensée né aux Etats-Unis dans les années 1960,  prêche pour une suprématie des technologies au service de l’homme, jusqu’à supprimer la maladie, la souffrance, voire la mort. L’homme-robot, l’homme « augmenté », sera-t-il encore un humain ? Interview de Jean-Michel Besnier, philosophe, professeur de philosophie à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV).

Qu’est-ce que le transhumanisme ?

Il s’agit d’un mouvement visant à améliorer l’homme, à augmenter ses capacités grâce à la puissance des sciences et des techniques. Les transhumanistes ont ainsi l’ambition de transcender les limites biologiques de l’être humain, d’en finir avec la maladie, la souffrance, le hasard de la naissance, mais aussi le vieillissement et la mort. Les technologies, selon les transhumanistes, révolutionneront nos sociétés et l’homme lui-même. Les plus radicaux pensent que nous sommes à l’aube d’une nouvelle espèce.

Pour vous, c’est de la science-fiction ?

Pas tant que cela. Les technologies prennent de plus en plus de place dans nos sociétés modernes, et c’est vraiment nouveau. Les machines sont de plus en plus autonomes, remplacent les humains. La recherche est très liée à l’économique. Les géants, Google, Apple… s’intéressent de près à la santé et il sont les moyens de le faire… Et la recherche en santé avance à grand pas. Par exemple, cette découverte très intéressante de deux chercheuses : Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, le CRISP-CAS9. Elles ont découvert le moyen de couper (comme avec une paire de ciseaux) un gène défectueux dans notre Adn et de le remplacer par un autre, sain. Cette découverte permettra de soigner des maladies génétiques, le cancer… Mais cette découverte ouvre-t-elle la voie à l’eugénisme ?

C’est un peu ce que l’on dit à chaque découverte scientifique…

Je suis d’accord. Mais nous nous habituons de plus en plus à l’idée que la médecine doit tout réparer : bientôt on remplacera une partie d’un organe défaillant avec une pièce ou une puce connectée et c’est le triomphe d’une vision mécaniste du vivant qui voit le corps comme une simple machine. Et puis, de grands scientifiques dénoncent eux-mêmes leur découverte, comme le physicien Stephen Hawking, qui a travaillé toute sa vie sur l’intelligence artificielle (IA) et qui dit lui-même que cela peut devenir une menace pour l’espèce humaine. J’ai une autre vision du vivant : je ne le considère pas comme un assemblage d’organes fonctionnels, mais comme un tout physico-chimique animé par un élan vital.

Pensez-vous que le transhumanisme gagnera la France ?

Il est déjà entrain de gagner l’Europe. En France, il existe l’Association française transhumaniste Technoprog de Marc Roux, qui prêche plutôt pour un « transhumanisme social », pétri de bonnes intentions. Son objectif est d’améliorer la condition humaine, notamment en allongeant radicalement la durée de vie en bonne santé. Je pense qu’il faut mettre les technologies au service de l’homme et non pas le contraire.
Et puis d’autres chemins existent hormis les technologies…

Viva traitera ce sujet dans sont prochain numéro (septembre 2016).

A lire : Un cerveau très prometteur. Conversation autour des neurosciences, de Jean-Michel Besnier, Francis Brunelle et Florence Gazeau, Collection : Essais et documents, 14 €.

Note de la rédaction :

Des chercheurs américains ont dévoilé le 2 juin un projet baptisé « Human Genome Project–Write » (ou HGP-Write), visant à créer un génome humain synthétique. Les chercheurs assurent que cette découverte permettrait de fabriquer de grandes parties d’Adn à un coût réduit. On pourrait ainsi créer des organes humains pour des transplantations et de produire des cellules résistantes à tous les virus et les cancers. Toujours d’après les chercheurs, on pourra accélérer la production de vaccins et développer de nouveaux médicaments.

Ce projet a déjà suscité de nombreuses critiques de la part de scientifiques et de personnes de la société civile ouvrant la porte à une forme d’eugénisme.