Sauveur Boukris veut libérer le médecin qui sommeille en chacun de nous

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Le médecin parisien dénonce les pratiques de certains de ses confrères et une médecine déshumanisée. Il appelle à se réapproprier son corps et son ressenti.

Dans votre dernier livre (1), vous critiquez les pratiques médicales déshumanisées. Augmentent-elles ?

J’ai été formé dans le service de médecine interne du professeur Laroche à l’hôpital Cochin. La médecine interne permet de prendre en compte un patient dans sa globalité. Or cette discipline disparaît. Cela fait 35 ans que j’exerce comme médecin généraliste et je constate que la pratique clinique disparaît au profit de la haute technologie, des analyses en laboratoire. On examine plus le patient, bien souvent on ne l’écoute pas, alors qu’il est le mieux amène à expliquer ce qu’il ressent. Grâce à internet les patients sont pourtant de mieux en mieux informés. Ils ont leur mot à dire. De plus en plus également, les médecins appliquent des normes, des recommandations, des protocoles généraux qui s’appliquent à tous les patients sans tenir compte de la situation de chacun.

Vous plaidez, au contraire, pour une médecine personnalisée.

Oui je suis contre le dogmatisme en matière médicale. On ne traite pas une maladie mais un patient. Et un patient, c’est un parcours, un âge, un mode de vie, une personnalité, un environnement, des conditions de travail, une famille, des loisirs, une vie sexuelle, un vécu, des croyances et des convictions. Tout l’art médical est de trouver l’équilibre entre la science, les connaissances médicales et le malade que l’on a en face de nous. Un hyper tendu de 50 ans n’est pas le même que celui de 70 ans. Il faut, en effet, mettre en place une médecine personnalisée et en finir avec les procédures standardisées. Avant, c’est vrai les médecins de famille entraient dans les foyers. Ces visites à domicile donnaient beaucoup d’indications sur la vie du patient. Aujourd’hui il faut demander, poser des questions pour mettre en place la meilleure stratégie thérapeutique.

D’autant que, et vous donnez des exemples dans votre livre, qu’en matière de santé, les choses ne se passent pas toujours comme prévues.

En effet, je cite le cas de ce monsieur à qui on avait détecté un cancer du côlon. On lui avait dit. Si vous n’êtes pas opéré dans six mois, vous êtes mort. Celui ci a refusé. Il ne voulait pas vivre avec un anus artificiel pour le restant de ses jours. 20 ans plus tard, je le croise encore tous les jours dans le quartier.

Comment remédier à cela ?

D’abord, il faudrait revoir la formation des médecins. Tous les littéraires, les diplômés de sciences humaines sont exclus des études médicales, ce n’est pas normal. Ensuite, il faut s’inspirer de ce que l’on appelle la « médecine narrative » pratiquée dans le monde anglo-saxon. Le patient n’est pas un dossier, une maladie, une machine… Mais une histoire. Enfin, les médecins devraient faire preuve de plus d’humilité et revenir aux fondamentaux de la médecine hypocratique qui était basée sur les sens : l’écoute, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et la parole. Les médecins d’antan tapotaient sur l’épaule du patient en leur disant : « çà va aller ». Ce n’était rien qu’un petit geste mais … D’humanité. Et puis il faut respecter la liberté du patient. Depuis la loi Kouchner de 2002, celui ci a le droit d’être informé, le médecin doit respecter l’avis du patient même si celui ci choisit l’abstinence thérapeutique ou de ne pas rentrer dans un protocole.

Vous dites aussi aux patients que si un médecin ne l’écoute pas, il peut très bien se lever et partir ? Pas très facile.

Il ne faut pas hésiter. Les médecins doivent descendre de leur piédestal et apprendre à partager le pouvoir. La relation soignant patient doit devenir un partenariat. Par exemple, il est incroyable que l’on utilise encore le mot ordonnance pour une prescription. Nous en sommes encore au 49.3 médical, alors qu’il faut emporter l’adhésion du patient et lui expliquer pourquoi on fait les choses. Le patient a le droit de ne pas être d’accord, de poser des questions, de réveiller le médecin qui est en lui et de s’interroger sur ce qui lui est proposé. Résultat, les patients en quête de relations humaines, se dirigent vers les médecines alternatives, vers les acupuncteurs, les ostéopathes qui les considèrent dans leur globalité comme des sujets.

  (1) Libérez le médecin qui est en vous : agir pour guérir : éditions du Cherche Midi 17,50 euros